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mardi 6 janvier 2015

Démographie et immigration en France


    Extrait de l’émission « L’Esprit public » du 4 janvier 2015 de France Culture, avec François Héran démographe et l'ancien directeur de l'INED (Institut national des études démographiques). 

  Ce qui fait le dynamisme de la démographie française, ce ne sont pas les immigrés, s’ils sont d’un apport important, ils ne font pas tout. En France, les naissances d’au moins un parent immigré, représente un sixième des naissances, cela peut paraître beaucoup mais dans la plupart des pays voisins cela peut atteindre la moitié. 

   Il y a quelques années, Jean-Marie Lepen, dans un propos rapporté par le « Monde » avait dit : s’il y a un sixième des naissances dû aux immigrés, il faut forcément enlever un sixième au taux de fécondité des français. 

  C’est une erreur mathématique, car il n’y a pas de rapport entre les deux expressions. Si l’on prend six femmes dont l’une est d’origine étrangère, et si elles ont toutes les six deux enfants, l’étrangère va contribuer pour un sixième aux naissances, sans ne rien changer au taux de fécondité. En fait, il y a une sur-fécondité des femmes immigrées par rapport aux natives, elles ont 3,5 enfants par femme, mais elles ne représentent qu’une petite fraction des mères et cette fraction n’est pas suffisante pour modifier en profondeur le taux de fécondité. Sans l’apport des femmes immigrées, le taux de fécondité au lieu d’être de 2.0 serait de 1.7. 


  Il est difficile d’expliquer pourquoi et comment, les immigrés auraient des contributions importantes aux naissances, mais faibles à la fécondité. En fait, le mystère est d’expliquer les raisons qui font que les françaises d’origine ont un taux de fécondité plutôt élevé par rapport à celles des autres pays européens. 

  La politique familiale joue certainement un rôle. Le contenue de la politique familiale est un conglomérat de mesures, avec des strates historiques et philosophiques différentes. Nous avons un côté très familialiste avec le complément de famille qui est donné à celles ayant au moins trois enfants à charge, ou bien à ne pas donner de complément familial au premier enfant, mais à partir du second. Cette mesure avait été imaginée au sortir de la guerre, car il fallait inciter les parents à avoir un second enfant rapidement pour relancer la fécondité. A partir des années 70 et 80, un virage, dû en grande partie aux féministes, a consisté à réconcilier la vie familiale et celle professionnelle, et plus tardivement des mesures comme le complément du libre choix d’activité marque un recul par rapport aux précédentes mesures, car il incite les femmes à rester chez elles. Il existe d’autres mesures qui ne concernent pas la CNAF (Caisses d’Allocations Familiales) mais qui ont une importance, comme l’obligation de scolarisation des enfants dès l’âge de 3 ans à l’école maternelle, dont peu d’autres pays la pratique. Fiscalement, le quotient familial aide à la fois les pauvres et les riches dans cette politique de la famille. 

   Toutes ces mesures ont une incidence bénéfique sur le taux de fécondité, mais c’est surtout le fait que ces mesures, même si elles ont été adaptées à des circonstances du moment, s’inscrivent dans un temps long. La politique familiale a su s’adapter à l’entrée des femmes sur le marché du travail, alors que dans les autres pays se tournant n’a jamais été pris. 

   La France accueille-t-elle plus d’étrangers que les autres pays européens, et en possède-t-elle plus ? 

 L’opinion publique des pays européens est convaincue que leur pays accepte plus d’étrangers que leurs voisins, mais les gens n’ont pas les moyens de faire ces comparaisons. Ce questionnement est digne du café du commerce et entretient les fantasmes.

  Il suffit d’un flux migratoire peu important mais constant pour changer profondément la composition de la population d’un territoire, ce qui est le cas en France. Il n’est pas nécessaire d’avoir un gros afflux de migrants comme celui qu’a connu l’Allemagne au cours des années 90, ou bien l’Espagne dans les années 2000 pour voir la composition de sa population se transformer en profondeur. La France connait un flux annuel de migrants non européens d’environ deux cent mille personnes, ce qui représente un taux de 0.3% de la population. 

   Chaque année, un quart de l’augmentation de la population française est due à l’immigration, dans la plupart des autres pays européens ce n’est pas un quart mais cent pour cent. Sans cet apport de migrants, l’Allemagne perdrait de la population car elle a plus de décès que de naissances, cela a été la même chose pour l’Espagne durant de très longues années. La part de l’immigration dans la croissance de la population anglaise a été de l’ordre de soixante pour cent pendant très longtemps. La France est le grand pays européen ou la part de l’immigration dans la croissance de la population est relativement faible, mais si vous avez vingt cinq pourcent de croissance chaque année liée à l’immigration, au bout de deux ou trois générations, cette population représente une quantité importante. 

  Nous avons actuellement moins de migrants que les allemands, beaucoup moins que les Suisses, nous avons onze pourcent d’immigrés de la première génération à quoi s’ajoute onze pourcent d’enfants de la seconde génération, ces vingt deux pourcent sont à comparer aux trente pourcent en Allemagne, ou a des proportions plus forte en Suisse ou au Luxembourg. 

 Il ne faut pas croire qu’en limitant les flux nous allons échapper à la modification en profondeur de la population, il ne faut pas imaginer qu’une politique d’accueil et de contrôle des flux va régler le problème de l’intégration des migrants de première génération ainsi que celle de la seconde qui est plus problématique que la première car elle est, généralement, dans une situation moins favorable que la précédente. 

  Il existe trois sources d’augmentation de la population. Si nous prenons les quarante millions d’habitants que nous étions au sortir de la guerre et les soixante six millions que nous sommes actuellement, un tiers est lié à la fécondité, notamment celle du baby boom et leurs enfants, les effets du baby boom ne s’arrêtent pas en 1963 avec sa fin. Un second tiers correspond au vieillissement, ce que souvent nous oublions, et le troisième facteur, troisième tiers c’est l’immigration. Ce même calcul pour l’Allemagne donnerait certainement un pourcentage plus important à l’immigration et moins au baby boom qui a été plus tardif et dura moins longtemps. 
   
  Il y a longtemps que les flux migratoires en France sont déconnectés des cycles économiques, et ceci est vrai pour les pays de vieille immigration comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse, etc., moins en Angleterre dont l’immigration est beaucoup plus récente qu’en France, dans les années cinquante, il y en avait très peu. Dans les pays de vieille immigration dont le flux s’auto-entretien avec l’arrivée des familles qui suivent l’immigration du travail, les immigrés ont un taux de chômage du double de celui des natifs. Ce n’est que dans les pays d’immigration récente, l’Espagne, l’Italie, et du sud de l’Europe en général, les Etats-Unis aussi, que nous avons moins d’immigrés au chômage que de natifs, migrants qui viennent en fonction des cycles économiques. 

    A quoi cette déconnexion est-elle due ? 

  En prenant les deux cent mille personnes qui viennent annuellement en France, cinquante à soixante mille individus sont des étudiants, s’ils viennent pendant un an, ils sont comptés parmi les immigrés dont une fraction importante reste, ceci est variable en fonction de leurs origines. Trente mille personnes relèvent du regroupement familial, cinquante mille personnes viennent du regroupement matrimonial, un français ou une française qui se marie avec un ou une étranger (ère), dix-huit mille personnes sont introduites au titre de l’asile. Il reste dix-sept à dix-huit mille individus dont les saisonniers qui reviennent chaque année, au titre du travail. Au Canada l’introduction au titre du travail, c’est deux cent mille personnes, pour un pays qui est deux fois moins peuplé que la France. 

   Plus de quatre vingt dix pourcent des migrants entrent en France parce qu’ils en ont le droit, en non pas parce qu’ils sont appelés par un mouvement économique. Ils ont le droit d’épouser qui ils désirent, le droit de vivre en famille, le droit de faire des études dans les meilleures universités étrangères, point que la France ne nie pas et organise, et le droit d’asile. 

  Quel personnel politique remettrait en cause ces droits et les conventions internationales qui les permettent ? 

  Lorsque Nicolas Sarkozy durant la dernière campagne présidentielle a proclamer vouloir diviser par deux les deux cent mille introductions, il eut été avisé de nous expliquer comment il allait procéder, si ce n’est à remettre en question ces droits. Idem pour Marine Lepen qui a surenchéri, il fallait diviser par dix puis par vingt, ce qui est totalement irréaliste. 

  Durant le septennat de Nicolas Sarkozy, les deux ans comme Ministre de l’Intérieur et les cinq comme Président de la République, les chiffres n’ont pas bougé, et ce, malgré les efforts de Brice Hortefeux et de Claude Géant, ils ne sont pas parvenus à changer quoique ce soit. 

   Il y a beaucoup de fantasme sur la perception d’une immigration de la misère et d’une Europe comme Eldorado du travail. Ce mythe de l’Eldorado européen est condescendant à l’égard des immigrés en leur prêtant ce mythe. Le Migrant cherche une vie normale, avec les outils modernes de communication, ils ont suffisamment d’informations en s’embarquant dans l’aventure, ils savent ce à quoi s’attendre en venant en Europe, d’autant que les individus qui viennent sont les plus éduqués, ce ne sont pas les plus pauvres des plus pauvres. La migration de la misère se fait généralement avec les pays limitrophes, ce sont des migrations de refuge. 

   Quel est le comportement des secondes générations ? 

 
François Héran
La question des secondes générations est problématique. La plupart des indicateurs d’intégration subjectifs et objectifs sont parfois plus mauvais pour la seconde génération que pour la première. Subjectivement cela se comprend car la première génération compare son sort avec ceux restés au pays, ils voient l’amélioration de leur situation et c’est cela qu’ils étaient venus chercher. Alors que leurs enfants n’ont aucune raison de comparer leur sort avec les enfants des non-migrants, ils ont comme référence les natifs de leur âge. Et là, la comparaison est très négative. 

   Il y a le problème de la discrimination qui a été attestées par toutes sortes d’enquêtes. C’est l’une des raisons, mais sans doute pas la seule, qui pousse les enfants d’immigrés à désespérer.

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