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mardi 20 janvier 2015

Le festival du mot : Voltaire

J'adore lorsque l'on convoque Voltaire, d'autant qu'il s'agit d'une manifestation contre l'intolérance et pour la liberté d'expression.

On connait Voltaire par ses écrits publiés, il l'est moins par ses lettres, ou papiers anonymes et que l'on sait lui attribuer aujourd’hui. Voltaire étudié en littérature est un modèle de vertu, un historien, farfouillant dans les documents le concernant, aurait-il une identique perception du personnage ?

Je n’entreprends pas ici une analyse de l'individu, je propose trois histoires illustrant sa tolérance et son souci légitime de maintenir la liberté d'expression.

Mais avant ces histoires, voici deux formules voltairiennes, afin de rappeler ses doctrines politiques et sociales. Personnellement, j'adore :

« Un pays bien organisé est un pays ou le petit nombre fait travailler le plus grand, est nourri par lui, et le gouverne. » 

« Il est fort bon de faire accroire aux hommes qu’ils ont une âme immortelle et qu’il y a un Dieu vengeur qui punira mes paysans s’ils me volent mon blé et mon vin. »

Allez, en voici quatre autres, c'est trop bon...



« La croyance des peines et des récompenses après la mort est un frein dont le peuple à besoin. »

« Je veux que mon tailleur, ma femme même croient en Dieu, et je m’imagine que j’en serai moins volé et moins cocu. »

« Si l’athéisme se répand tous les liens de la société sont rompus et le bas peuple ne sera plus qu’une horde de brigands. » 

«Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. »

Ferdinand Brunetière (1849-1906, critique littéraire) oppose Jean-Jacques Rousseau à Voltaire : « Au fond je préfère de beaucoup Voltaire à Rousseau, car Rousseau à mis-en-cause l’ordre social, tandis que Voltaire à respecté la propriété. ». Pour un catholique d’ordre, on peut se permettre quelques irrévérences à l’égard du christianisme, mais pas au sujet de la propriété.

Le tableau est posé, voici les trois histoires.

Les Pompignan

Il y avait trois frères Lefranc, le premier Jean-Jacques Lefranc, marquis de Pompignan, poète de son état, compose, entre autre, une tragédie orientale, Zaraïde. Voltaire qui donne à cette époque, Zaïre, ne veut pas de concurrence. Pompignan retire sa pièce et c’est la fin de sa carrière théâtrale. Pour autant, il continue à produire des poésies qui ont du succès et ce malgré les critiques voltairiennes. En 1751, les Poésies sacrées reçoivent cette épitaphe de Voltaire : « Sacrés ils sont, car personne n’y touche. »

Le 10 mars 1760, Pompignan est reçu à l’Académie Française au fauteuil de Maupertuis. Son discours de réception est un éloge à son prédécesseur, et une charge contre les Lumières. Mal lui en a pris, ce discours est assailli par une pluie de pamphlets. La querelle contre Pompignan qui est devenu une cible à épigrammes, après les Car de Voltaire, se poursuit en vers et en prose avec les Pour, les Que, les Qui, les Quoi, les Oui, les Non. Morellet, Diderot, Marmontel prennent part à cette guerre. On épuise, les Quand, les Si, les Pourquoi, les Ah !, les Oh !, le sommet est atteint par Voltaire avec une satire de la vanité « le pauvre diable et la vanité » :

« Malheur à tout mortel, et surtout dans notre âge,
Qui se fait singulier pour être un personnage »!

Puis un peu plus loin :

« Combien de rois, grands dieux ! Jadis si révérés,
Dans l’éternel oubli sont en foule enterrés !
La terre a vu passer leur empire et leur trône.
On ne sait en quel lieu florissait Babylone ;
Le tombeau d’Alexandre, aujourd’hui renversé,
Avec sa ville altière a péri dispersé ;
César n’a pas d’asile où son ombre repose,
Et l’ami Pompignan pense être quelque chose » !

Couvert de ridicule, Pompignan, sur qui l'on se retourne en riant, n’ose plus se présenter à l’Académie, il se retire à Montauban.

L’autre Lefranc de Pompignan, Jean-Georges, évêque du Puy, Archevêque de Vienne, subit lui aussi les foudres des Philosophes et celles de Voltaire, pour deux raisons, celle de son état, la secte christicole est honnie chez les Lumières, et son lien familial à Jean-Jacques Lefranc de Pompignan le prédispose aux quolibets. 

Mais il y a un troisième frère, Jean-Pierre, que Voltaire ignore, et dont la fonction est celle de capitaine de carabinier. Et ce troisième frère prend très mal le fait que les deux autres soient les cibles des Encyclopédistes et de Voltaire en particulier. Il lui fait savoir que s’il continue, il viendra lui tirer les oreilles.

Voltaire prend peur et appelle à son secours Monsieur de Choiseul, il lui demande une garde autour de Ferney afin d’être protégé des entreprises du dernier des Lefranc de Pompignan. 

Avouons que l’usage de la force bestiale, pour faire taire les diffamations de la vertu éclairée, est un acte odieux à l’encontre de la libre expression.

Elie Fréron, critique littéraire

Elie Fréron est un passionné de littérature qui a appris la critique littéraire auprès de l’abbé Desfontaines. Il a cette formule : épargner les personnes, mais dénoncer leurs défauts, pas d’attaques ad hominem en quelque sorte, un avis sur l’œuvre mais pas sur l’auteur. En 1754, il fonde l’Année Littéraire, dans laquelle, il critique la littérature de son temps.

Aïe ! Voltaire ne supporte pas cette atteinte intolérable à la liberté d'expression. Il considère Fréron comme son ennemi personnel, et lui décoche de nombreux libelles, comme :

« L’autre jour, au fond d’un vallon,
Un serpent piqua Jean Fréron,
Que pensez-vous qu’il arriva,
Se fut le serpent qui creva. »

Amusant n'est-t-il pas ? On croirait entendre nos humoristes de France Inter ridiculisant leurs invités.

Fréron sait que Voltaire plagie, qu’il n’est pas à l’origine du poème, aussi, dans l’édition de sa feuille littéraire, suivant la parution du plagiat, il restitue l’original.

Ou ces autres vers :

« Rimant d’une ode et n’ayant pas dîné,
Je m’accostai d’un homme à lourde mine
Qui sur sa plume a fondé sa cuisine.
Cet animal se nommait Jean Fréron,
J’étais tout neuf, j’étais jeune, sincère
Et j’ignorais son naturel félon… »

Voltaire calomnie et diffame, bien évidemment, au nom de la liberté d'expression. Lorsque Fréron, va toucher l’héritage de l’une de ses tantes décédée, Voltaire écrit fort élégamment : le montant de l’héritage était coquet quant on sait le métier que faisait la dame… sous entendant qu’elle se prostituait. Cette femme ne pouvait, bien évidemment, pas affirmer à l’instar d’une prostituée ou d’un footballeur : « mon plus beau but c'est une passe ».

Mais Fréron résiste, il écrit : « Les philosophes et monsieur Voltaire à leur tête crient à la persécution, et se sont eux-mêmes qui m’ont persécuté de toute leur fureur et de toute leur adresse. Je ne vous parle plus des libelles abominables qu’ils ont publié contre moi, de leur acharnement à décrier mes malheureuses feuilles, de leurs efforts à me rendre odieux au gouvernement, de leur satisfaction, lorsqu’ils ont réussi à faire interdire mon travail, et quelques fois, à me faire ravir la liberté de ma personne ».

Circuit de la censure au XVIIIe siècle
Voltaire, grâce à ses entregents, réussit à faire interner Fréron à la Bastille. La raison en est simple. Pour éditer une feuille, l’autorisation d’un censeur est nécessaire, mais lorsque la forme n’est pas respectée, une tolérance existe. Fréron qui n’a pas cette autorisation, est dénoncé à la police par Voltaire, et il va jusqu’à leur fournir l’adresse du contrevenant. Alors qu’il a une femme et des enfants et qu’il ne vit que de sa plume, Fréron est embastillé.

Après son séjour à la Bastille, afin de publier sa feuille sans problème, Fréron rencontre le Ministre de la librairie (organe de la censure), et d’un commun accord, ils désignent un censeur. Tout va pour le mieux, sauf lorsqu’il laisse passer un article critiquant les Lumières, le censeur est harcelé par la secte (terme commun à l’époque pour désigner un groupe, cela n’a pas le sens péjoratif d’aujourd’hui). Les attaques sont telles, ne les supportant plus, il démissionne de sa fonction.

Fréron rencontre à nouveau le Ministre, et fait la proposition suivante : vous désignez un censeur, je ne le connais pas, nous trouvons un médiateur qui portera mes papiers au censeur. La secte hurle tant et si bien sur le médiateur, qu’il finit par démissionner lui aussi.

Un nouveau médiateur est désigné. Aussitôt, toutes les critiques des œuvres des philosophes sont censurées. Pendant quatre ans, chaque fois que Fréron veut publier un texte qui déplaît aux lumières, le texte est censuré.

Fréron écrit : « Ce cruel manège a duré près de quatre ans, j’ai soupçonné quelques mystères. Il ne me paraissait pas naturel qu’il eut en France un censeur assez déraisonnable, pour condamner des critiques un peu vives à la vérité, mais toujours renfermées dans les bornes prescrites. Je confiais ma pensée au magistrat, sage, honnête, intègre autant qu’éclairé,  qui sous les ordres de monsieur le Chancelier veille aujourd’hui sur le département de la librairie. Il dénia m’écouter avec intérêt, et promis de me rendre justice. Je lui laissais tous les articles que l’on avait impitoyablement proscrits. Il les fit passer à mon censeur, accompagné d’une lettre par laquelle il lui demandait, pourquoi il ne les avait pas approuvées ».

Le second médiateur appartenait à la secte. Usurpant sa fonction, il censurait les articles déplaisants, le censeur ne les recevait pas.

Fréron n’était pas facile à éliminer, il avait des protecteurs et beaucoup de lecteurs. Toutefois, Voltaire réussit à le faire embastiller par deux fois au nom de la liberté d’expression.


Jean-Jacques Rousseau

Après la parution en 1762, de l’Emile et du Contrat Social, Rousseau est menacé de « prise de corps » par le Parlement de Paris. Fuyant la France, il tente de trouver refuge à Genève, sa ville natale, qu’il avait honorée en lui dédiant son discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes en 1755. Voltaire qui y habite depuis cette date, agit auprès du Petit conseil de Genève, essentiellement des banquiers, en leur disant en substance : vous n’allez pas recevoir Rousseau, vos affaires financières se font avec la France, vous allez y perdre beaucoup, car Monsieur de Choiseul, n’aimera pas cela. Et Rousseau se verra interdire sa ville natale, Voltaire, dans l’ombre, l’en aura empêché. En 1763, le 12 mai, Rousseau abdique sa citoyenneté genevoise.

Voltaire en voulait à Rousseau, d’avoir le courage que lui n’avait pas.

Quand Rousseau écrit en 1762 sa « profession de fois du vicaire savoyard », Voltaire n’a porté que des coups indirects à la religion sans trop se dévoiler. Alors qu’il avait écrit anonymement le « sermon des cinquante », à la même époque que Rousseau sa Profession de fois, en 1764, Voltaire niait toujours en être l’auteur. Sa Nièce, Madame de Fontaine, lui demande dans une lettre du 11 juin 1764, s’il est bien l’auteur de ce sermon, il le nie dans sa réponse, et prétend s’en remettre au Pape, si ces propos sont maintenus.

Une madame de Beaufort, qui est une admiratrice de Rousseau, n’ayant pas son adresse à Genève, mais elle sait que Voltaire vit dans la ville, lui écrit : je pense que vous avez des rapports de collégialité avec Rousseau, je me permets de vous transmettre cette lettre que vous voudrez bien lui remettre.

Voltaire ne transmet pas la lettre, mais lui envoie un exemplaire du sermon des cinquante, comme si c’était là, la réponse de Rousseau. Jean-jacques va apprendre l’entourloupe de Voltaire, de madame de Beaufort, qui avait enfin trouvé son adresse. Elle le remerciait avec un peu d’étonnement qu’il soit, lui Rousseau, l’auteur du « Sermon des cinquante ». Rousseau trouva désagréable ce cadeau empoisonné fait par Voltaire.

A cette époque Rousseau rédige « lettres écrites de la Montagne »

En juin 1763, quelques amis de Rousseau, menés par Jean-François Deluc, font une Représentation devant le Petit Conseil pour faire annuler l’interdiction d’Emile et du Contrat social. Devant le silence du Petit Conseil, les Représentants en appellent au Grand Conseil ou Conseil des CC, appel que le Petit Conseil juge inopportun,  il use de son droit négatif. Le conflit s'éternise, c'est alors que le procureur général Jean-Robert Tronchin fait paraître trois lettres écrites de la campagne le 27 septembre 1763, suivies d'une quatrième le 24 octobre. Ces lettres justifient la condamnation des deux livres et évacuent les prétextes juridiques avancés par les Représentants.

C'est dans ce contexte que Rousseau rédige entre octobre 1763 et mai 1764 les neuf lettres de la montagne. Les cinq premières ont pour objet de démontrer que la sentence du Petit Conseil est arbitraire car seul le Consistoire est compétent en matière de foi. La sixième prend la défense du Contrat Social. Les trois dernières apportent un appui aux Représentants en faisant la démonstration que le droit négatif exercé par le Petit Conseil usurpe le pouvoir souverain qui relève du peuple. Sur le plan de la foi, il ne renie rien de ses écrits et fustige les pasteurs qui se veulent orthodoxes en se montrant persécuteurs.

Et il ajoute un paragraphe qui restitue à Voltaire, la paternité du Sermon des cinquante. Voltaire qui lit les lettres de Rousseau est fou furieux, car il est démasqué.

Les Lettres de Rousseau sont imprimées à Amsterdam par Marc-Michel Rey et publiées en décembre 1764 avec la devise Vitam impendere vero (vie pour la vérité).

Le Petit conseil de Genève est effrayé des troubles, il craint le soulèvement de la plèbe, il craint que Rousseau soit très capable avec ses lettres, de soulever les rues « basses » de Genève. A Genève, il y a les rues « hautes » ou siège le Petit conseil, la banque, l’industrie, et les rues « basses », celles du peuple. Le pasteur Jean Sarrazin agite ses collègues Neuchâtelois : « le livre de M. Rousseau fait gémir, non seulement parce qu’il attaque les fondements de la religion, mais encore parce qu’il tend à répandre et à fortifier la discorde dans notre Etat, en excitant nos compatriotes à faire leurs efforts pour changer la nature de notre Gouvernement. Depuis près de trente ans nous jouissons de la plus douce tranquillité, nous étions heureux à tous égards, et nous voyons cette tranquillité altérée par la fermentation que M. Rousseau excite toujours plus». Voltaire pour se venger de Rousseau, mais aussi afin de le faire taire car il déteste ses positions religieuses et politiques, va essayer de le faire tuer par le conseil administratif de Genève.

Voltaire va écrire au moins deux lettres, sans doute plus, la première à un imprimeur, Cramère, et l’autre à Trochin. Le 27 décembre paraît une contre-attaque anonyme de huit pages, le Sentiment des citoyens. Rousseau y est dénoncé comme « un homme qui porte les marques funestes de ses débauches et qui, déguisé en saltimbanque, traine avec lui, de village en village, de montagne en montagne, la malheureuse dont il a fait mourir la mère et dont il a exposé les enfants à la porte d’un hôpital ». Rousseau qui a un problème de vessie, porte une sonde qu’il cache derrière et pour dissimuler la poche, il porte une robe d’Arménien, le costume de saltimbanque. La malheureuse fille n’est autre que Thérèse Levasseur son amie, avec qui il confessera avoir eu cinq enfants. Quant à la belle-mère, elle vit à Paris d’une pension que lui verse Rousseau. Le libelle se termine par un appel à la vengeance : « il faut apprendre, que si on châtie légèrement un romancier impie, on punit capitalement un vil séditieux ».

Rousseau ne soupçonnera jamais Voltaire se cachant derrière le Sentiment des citoyens et, croyant avoir reconnu la plume du pasteur Vernes, y voit un coup de pied de l’âne genevois. Voltaire promet le soutien de la France au conseiller François Tronchin, si Genève prend des mesures contre Rousseau : « Vous êtes bien persuadé que le Conseil peut déployer toute sa fermeté et toute sa justice sans avoir à craindre de jamais perdre la moindre prérogative que la médiation lui assure. Ce sont les brouillons qui doivent craindre de perdre leurs privilèges pour peu qu’ils en abusent. On attend que le Conseil agisse contre le livre séditieux de la Montagne comme on agit contre un perturbateur du repos public. L’auteur est tel et doit être déclaré tel ».

Voltaire incite le conseil à condamner à mort Rousseau, selon la loi en vigueur à Genève.

Les Lettres de Rousseau sont brûlées à Paris et La Haye, elles sont interdites à Berne. La position de Jean-Jacques à Neuchâtel va devenir intenable et Rousseau devra quitter la Suisse avant la fin 1765. Ce sera pour tomber dans un autre conflit avec David Hume.



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